Andrew Campbell
Le jour de ma visite à la ferme d’élevage de bovins de Greg, en Alberta, j’ai eu l’impression d’entrer dans un paysage de carte postale. Le matin était froid, mais sec. Le ciel était bleu et clair, à peine voilé par une neige scintillante qui saupoudrait les collines vallonnées. Les bêtes mâchouillaient tranquillement, la tête enfoncée dans les ballots de foin, et le vent était si léger que l’on entendait aussi le murmure du troupeau dans les pâturages au loin. Le moment était si parfait que je voulais le préserver à tout jamais. Ce sentiment rejoint également les éleveurs de bovins des Prairies. Les consommateurs doivent savoir qu’ils ont à cœur de protéger l’environnement, la beauté infinie de ces espaces pittoresques et des habitats sauvages. Bien souvent, les éleveurs sont faussement accusés de ne pas en faire assez. C’est pourquoi Greg et moi avons parlé d’agriculture durable, de son importance pour lui et sa famille, et de son application à l’élevage des bovins. Son honnêteté et son point de vue sur la question méritent que l’on s’y attarde.
Je suis assis dans un camion, au milieu de grands pâturages, en compagnie de Greg qui est éleveur en Alberta. Le ciel est clair et ensoleillé, des bovins broutent autour de nous. Parle-moi de ta ferme, Greg, et comment se déroule une journée typique ici.
Nous élevons principalement des bovins de boucherie Charolais pur-sang. Nous nous consacrons surtout à l’élevage de taureaux reproducteurs, qui sont vendus à l’âge d’un an ou de deux ans à d’autres éleveurs. Nous avons aussi des bovins femelles et des veaux.
Nous passons notre journée à nourrir et à prendre soin des bêtes. Elles sont nourries une fois par jour, les veaux sont nourris deux fois par jour parce qu’ils sont jeunes et en phase de croissance. Nous nous assurons aussi que leur litière est appropriée s’il fait froid et qu’elles sont en bonne santé.
De quoi nourrissez-vous vos bovins de boucherie ?
Nous leur donnons une combinaison de grains et de concentrés (qui peuvent contenir des grains, du fourrage, des vitamines, des minéraux, des gras ou des huiles, ainsi que d’autres nutriments et sources d’énergie), en plus du foin. Ce mélange spécifique représente une ration, qui est équilibrée en fonction des besoins précis de l’animal selon le moment de l’année, le stade d’une grossesse ou d’une période d’allaitement. Une fois que les veaux sont emmenés dans les pâturages, l’alimentation des vaches est modifiée pendant l’allaitement. Tout est équilibré selon les besoins.
Les soins sont également adaptés aux différents groupes et selon des stades de développement.
En période de vêlage, les vaches qui sont prêtes à mettre bas sont déplacées plus près des bâtiments. Les veaux naissent à l’extérieur à partir de la fin du mois de février, mais surtout en mars. Nous surveillons les vaches le jour et la nuit, à toutes les deux heures, pour nous assurer qu’elles sont confortables et en santé, et que la mise bas s’annonce sans difficulté. Alors pendant la période de vêlage, nous ne dormons pas beaucoup, mais c’est une belle période de l’année. Nous sommes très fatigués, mais la satisfaction et la récompense sont énormes.
Comme c’est beau, ici. De la galerie avant de la maison, vous avez une vue imprenable sur les collines vallonnées — on dirait une carte postale. Et pourtant, j’entends bien des gens se demander en ce moment si tout ça est viable, surtout l’élevage des bovins. Est-ce durable sur le plan écologique ?
Absolument. À l’origine, la plus grande partie des Prairies de l’Ouest canadien et une grande partie du centre des États-Unis n’étaient que brousse et pâturages. De vastes troupeaux de bisons y paissaient en se déplaçant d’une région à une autre. Même à bien plus petite échelle, et avec des bovins plutôt que des bisons, ce qu’il s’y passe aujourd’hui est très similaire. Nous déplaçons les troupeaux d’un endroit à un autre pendant la saison de pâturage afin de laisser à l’herbe le temps de repousser. Les pâturages sont ainsi entièrement recouverts d’herbe et sont plus en santé, justement parce qu’on laisse les bovins y paître.
Si les pâturages ne sont pas utilisés, ils stagnent, car la lumière, l’air et l’humidité ne pénètrent pas suffisamment dans le sol. Il faut stimuler la croissance de l’herbe par le pacage, mais sans le faire de manière intensive ou jusqu’à ce que l’herbe soit complètement rasée. Il faut lui laisser le temps de repousser, puis laisser paître les bovins, puis laisser l’herbe repousser à nouveau.
C’est ce que l’on appelle le pâturage en rotation, et c’est le système que nous appliquons pour maintenir les pâturages et protéger les zones vulnérables sur notre propriété. Nous ne laissons pas les bovins atteindre les berges des ruisseaux : leur abreuvoir contient la même eau que nous buvons à la maison. Nous avons enfoui sous la terre des milliers de pieds de tuyaux qui acheminent cette eau potable vers les différents pacages et cela améliore la production. C’est une pratique respectueuse pour l’environnement, car les bovins n’endommagent pas les berges des cours d’eau.
Est-ce que vous voyez parfois des animaux sauvages se mêler au troupeau dans les pâturages ?
Nous voyons assez régulièrement des chevreuils, des coyotes et des orignaux. Toutes sortes d’oiseaux, bien sûr, des petits rongeurs, et il y a aussi des castors et des rats musqués dans la région. Les bovins cohabitent avec beaucoup d’animaux sauvages.
De plus en plus de consommateurs veulent des preuves ou des systèmes de vérification des pratiques en matière de production bovine. Êtes-vous impliqué à ce niveau ?
Nous participons à la Table ronde canadienne sur le bœuf durable, créée en 2014. C’est un système de vérification qui s’assure que les pratiques dans l’industrie du bœuf visent la durabilité environnementale, la viabilité économique et la responsabilité sociale. Nous prenons en compte ces trois piliers pour s’assurer que l’élevage des bovins reste une activité durable à long terme.
Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ces trois piliers —durabilité environnementale, viabilité économique et responsabilité sociale — sont nécessaires pour l’avenir de l’élevage ?
La dimension économique va de soi. Si en tant qu’éleveur, vous dépensez chaque année plus d’argent que vous n’en faites, vous ne survivrez pas longtemps parce que vous n’êtes pas durable économiquement. Les propriétaires de ranch et les éleveurs travaillent en harmonie avec la nature depuis des années. Des organismes — le Fonds mondial pour la nature (WWW) par exemple — considèrent que la préservation de l’élevage des bovins est un bon moyen de sauver de l’extinction certaines des espèces animales qu’ils protègent. En fait, des organismes travaillent de concert avec nous à bien des niveaux de la conservation.
Ici, en Alberta, il y a beaucoup de terres qui ne conviennent pas à la culture. Le bétail se contente de paître sur des espaces passablement rudes et transforme ainsi des terres incultivables en excellents pâturages. À cause de leur système digestif particulier, les bovins peuvent se nourrir de plantes très fibreuses et s’en porter très bien. C’est donc possible pour nous de faire l’élevage sur des terres qui ne se prêtent pas à d’autres usages, mais qui sont parfaites pour le pacage des animaux.
Ces bovins nous rendent donc service, en ce sens qu’ils se nourrissent sur des terres incultivables, de plantes non-comestibles qu’ils transforment pour nous en un aliment nutritif : la viande de bœuf.
Une grande partie du fourrage qui sert à nourrir les animaux aujourd’hui, qu’il provienne d’une provenderie ou qu’il pousse sur votre propriété, ne peut pas être consommé par les humains. Par exemple, en tant qu’humain, je suis un animal qui n’a qu’un seul estomac. Je ne pense pas que je me sentirais bien si je mangeais du foin !
Moi non plus, mais ces bêtes ont l’air d’adorer ça !
Elles récupèrent des produits que nous sommes incapables de digérer. Plusieurs des résidus agricoles des produits destinés à l’alimentation humaine servent aujourd’hui à nourrir le bétail. Les granulés d’aliments sont faits à partir de ces résidus, qui sont nourrissants et qui conviennent bien à l’alimentation des ruminants.
Merci pour cette visite, Greg.